Un des buts fondamentaux de l’éducation est de préparer les jeunes à être d’efficaces chefs de file dans le monde universitaire, les affaires, l’Église, le gouvernement et dans les divers domaines de la vie professionnelle et pratique. Cet article s'articulera autour de cinq objectifs fondamentaux de l’éducation adventiste et cinq méthodes pratiques, ou approches, pour réaliser et entretenir ces objectifs. Il se terminera par une brève discussion autour d’une énigme caractère-culture qui empêche souvent les institutions éducatives d’accomplir cette mission1. Cet article va se pencher spécifiquement sur les étudiants du niveau universitaire de premier cycle – bien qu’il soit important que toutes les écoles adventistes développent le caractère et les compétences en leadership de tous les élèves.
Le besoin d’individus formés pour diriger et servir
Les sociétés ont désespérément besoin de bons juges, de bons avocats, de bons médecins et de bons ingénieurs capables de prendre des décisions éclairées alors qu’ils cherchent à résoudre des problèmes urgents et à répondre aux besoins de ceux qui recherchent leur aide, et ce faisant, de répondre de façon responsable et avec succès aux besoins de la société dans son ensemble. Ainsi, un objectif fondamental de l’éducation est de développer et de nourrir les talents et les capacités des étudiants afin qu’ils puissent devenir ce genre de leaders.
Toutefois, la tâche de développer et de nourrir les talents et les habiletés des jeunes dans nos établissements d’enseignement supérieur, afin de les préparer à être des professionnels efficaces, implique beaucoup plus que de les aider à acquérir un réservoir de connaissances techniques et une expertise dans leur domaine d’études choisi. Chaque université vise l’excellence académique et tire une grande fierté du calibre professionnel de ses diplômés et des recherches produites par son corps professoral. Par contre, ce ne sont pas les seuls objectifs qui comptent.
Pourquoi ? Parce qu’un bon leadership et un bon service, que ce soit dans le gouvernement, les affaires, ou les professions exigent plus que la maîtrise du contenu et l’acquisition de connaissances techniques ou d’une expertise. Il suffit de suivre les informations du soir pour constater que notre monde, aujourd’hui, vit une crise de leadership : histoires récurrentes détaillant des abus de pouvoir, corruption, escroqueries, fraudes, détournements de fonds, tromperie, désillusion du public, démissions et, par la suite, perte généralisée de confiance dans le gouvernement, les entreprises, les soins de santé et les médias, etc. Ces réalités devraient nous alerter sur le fait qu’un quotient intellectuel élevé, des résultats d’examens normalisés, la maîtrise de contenu, ou même l'acquisition de connaissances et d'expertises techniques ne suffisent pas à eux seuls à préparer les jeunes pour une vie de service.
Non, c’est plutôt l’acquisition de la sagesse dans l’utilisation des connaissances et des compétences que l’on acquiert à chaque niveau de l’éducation – de la maternelle aux études supérieures – qui constitue le véritable baromètre d’un futur leadership serviteur. Le sage Salomon l’a bien écrit : « Acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence ; ne sois pas oublieux et ne dévie pas des paroles de ma bouche. Ne l’abandonne pas, elle te gardera ; aime-la, elle te préservera. Commencement de la sagesse : acquiers la sagesse, acquiers l’intelligence. Exalte-la, elle t’élèvera ; elle fera ta gloire, si tu l’étreins ; elle mettra sur ta tête une parure gracieuse, elle t’ornera d’une couronne de splendeur » (Proverbe 4. 5-9, NBS2).
Pourtant, la sagesse à elle seule n’est pas suffisante pour assurer une vie de service. En effet, il est impossible de développer la sagesse pratique dont on a besoin pour négocier les pressions, les stress et les exigences de la vie quotidienne sans avoir acquis, tout d’abord, une autre qualité essentielle : le caractère. On ne peut pas assez insister sur l'importance du développement du caractère chez nos élèves. Billy Graham a dit un jour : « L’héritage le plus précieux que l’on puisse donner à nos enfants et petits-enfants n’est pas une somme d’argent ou d’autres possessions matérielles accumulées au cours de notre vie, mais c’est plutôt un héritage de caractère et de foi3. » Dans la même veine, Martin Luther King junior a insisté : « Le rôle de l’éducation est d’enseigner à penser profondément et à penser de façon critique. L’intelligence plus le caractère, voilà le but de la véritable éducation4. »
Bref, afin de préparer les étudiants à être des leaders et des disciples sages, les éducateurs doivent tout d’abord les aider à développer une base solide de caractère qui leur permettra d’acquérir l’expérience et les compétences pour prendre des décisions prudentes et judicieuses, peu importe la capacité dans laquelle ils sont appelés à servir.
Comment les éducateurs peuvent-ils réaliser cela ?
C’est ici que l’éducation chrétienne diffère des approches adoptées par les universités laïques sur au moins deux aspects significatifs. De nombreuses institutions séculières et de nombreux philosophes ont reconnu l’importance de développer le caractère et d’acquérir la sagesse. En fait, Aristote n’a-t-il pas fait cette fameuse déclaration : « Il est impossible de posséder l’excellence du caractère au sens premier du terme sans la sagesse, et impossible d’être sage sans l’excellence du caractère5 ».
Pourtant, alors que les éducateurs séculiers cherchent à encourager la sagesse chez leurs étudiants en leur enseignant à penser de manière critique, les chrétiens croient que Dieu est la source de la sagesse. Ainsi, pour que nos diplômés développent la sagesse dont ils ont besoin pour véritablement réussir à long terme dans leur vie et leur carrière, ils doivent tout d’abord être présentés au Dieu qui les as créés et qui est la source de toute sagesse. Le livre des Proverbes déclare : « Le début de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur ; la connaissance des saints, c’est l’intelligence6 » (Proverbe 9.10, NBS). On lit aussi dans le même livre : « De tout ton cœur, mets ta confiance dans le Seigneur ; ne t’appuie pas sur ta propre intelligence ; reconnais-le dans toutes tes voies, et c’est lui qui aplanira tes sentiers7 » (Proverbe 3. 5-6, NBS).
Ensuite, alors que l’éducation séculière – tout comme l’éducation chrétienne – favorise la croissance du caractère à travers des projets d’apprentissage par le service et une diversité de programmes d’études (un enseignement général des arts libéraux, les soins de santé, une éducation technique, etc.), dans l’éducation chrétienne, le développement du caractère n’est pas quelque chose qui peut être imposé entièrement de l’extérieur. En d’autres mots, le développement du caractère n’est pas simplement un processus pour inculquer la discipline comme le font les sergents instructeurs avec les recrues dans un camp d'entraînement militaire. Ce n’est pas non plus un processus tel qu’enseigné dans le bouddhisme : soit par un effort délibéré de se changer soi-même ou par une expérience de vie transformatrice qui suscite le désir de changer. Plus encore, le véritable développement du caractère n’est pas atteint par ceux qui réussissent par leurs propres moyens, et cela ne résulte pas non plus d’un simple encouragement des étudiants à participer à des projets d’apprentissage par le service ou à s’inscrire à des cours qui font progresser leurs domaines d’études. Bien que des leçons valables soient puisées de ces approches, l’éducation chrétienne exige davantage.
Pour un plein développement du caractère de nos étudiants, deux composantes doivent être ajoutées au programme d’études collégiales, composantes généralement absentes des programmes d’études des établissements d’enseignement supérieur séculiers. Tout d’abord nous devons présenter nos étudiants à Christ, lui qui par son Esprit adoucit le cœur en vue de la conversion – ou, comme Jésus l’a dit dans son entretien de minuit avec Nicodème, ils ont besoin de naître de nouveau. Sans une conversion, la Bible formule clairement qu’il est impossible à l’intelligence humaine de comprendre la sagesse d’en haut. L’apôtre Paul le dit ainsi dans 1 Corinthiens 2.14 : « Mais l’homme naturel n’accueille pas ce qui relève de l’Esprit de Dieu, car c’est une folie pour lui ; il ne peut pas connaître cela. Parce que c’est spirituellement qu’on en juge8. » Dans Jacques 3.17, on fait un pas plus loin, alors qu’il décrit cette sagesse qui vient d’en haut comme étant « pure, ensuite pacifique, conciliante, raisonnable, pleine de compassion et de bons fruits, sans parti pris, sans hypocrisie9. »
Pour le cœur non régénéré, la sagesse divine est folie. Mais sans la direction céleste, le processus d’essayer de former un caractère pieux est comme essayer de construire un château avec des blocs de sable. Pour atteindre le but du développement du caractère, il faut insister sur la raison d’être fondamentale de l’éducation adventiste : nourrir la foi des étudiants en Dieu comme quelqu’un qui est digne de confiance. On peut y arriver en expliquant aux étudiants que Dieu, le Créateur, a révélé dans sa Parole les principes sur lesquels l’univers est construit, et que la véritable sagesse consiste à essayer de comprendre, d’apprécier et d’être en harmonie avec ces principes. La confiance en Dieu grandit quand ses disciples s’alignent avec les principes sur lesquels l’univers a été créé. Le faire augmente le bonheur et les chances de vivre une vie vécue pour Dieu et au service des autres.
Ce but fondamental de l’éducation chrétienne peut être atteint grâce aux témoignages personnels, les cultes, les exposés à la chapelle, les sermons, les clubs dirigés par les professeurs, les conseils personnels, ou tout simplement, en laissant ses croyances et convictions s’infiltrer dans les discussions en classe10. C’est ainsi que nous susciterons chez nos étudiants un désir et le besoin, et finalement la foi et l’espérance en Dieu en tant que Créateur aimant – une Personne qui désire profondément établir une relation personnelle d’amour avec eux et qui peut leur donner la force qui leur manque pour réformer leur vie et les rendre capables de forger le caractère dont ils ont besoin pour mener une vie fidèle à Dieu et être une bénédiction pour les autres.
Deux objectifs supplémentaires essentiels de l’éducation adventiste et qui ne sont pas partagés par les établissements d’enseignement séculiers impliquent un environnement qui nourrit la foi et qui soutient le développement d’une relation salvatrice avec Jésus en tant que Seigneur et Sauveur. On pourrait appeler l’approche en cinq volets de l’éducation adventiste la « pyramide de l’innovation pédagogique : Foi, Conversion, Caractère, Sagesse et Talents » (compétence professionnelle, connaissance, habileté, savoir-faire11). (Voir figure 1) La foi et la conversion constituent la fondation sur laquelle se développent tous les autres aspects. Ces aspects peuvent être alignés avec les stades de développement bibliques de croissance et de maturité décrits dans 2 Pierre 1.5-8 qui seront discutés dans la prochaine section sous le sous- titre « L'approche progressive (mentorat/modélisation) ».
Cinq approches pour le développement du caractère de nos étudiants
La question logique à se poser maintenant est celle-ci : est-il possible ou non de nourrir les cinq volets de la Pyramide de l’innovation pédagogique dans le milieu universitaire et, si oui, comment ? Pour beaucoup de gens, le caractère n’est pas quelque chose qui peut être vraiment enseigné. Comme le disait l'un de mes professeurs (TE) à l'université : « Le caractère n’est-il pas quelque chose qui est attrapé plutôt qu’enseigné ? » Jusqu’à un certain point, cette question dit vrai. Le caractère est souvent quelque chose que nous acquérons alors que nous faisons d’autres choses. Cependant, les universités peuvent faciliter de façon proactive le processus du développement du caractère des étudiants en créant un environnement d’apprentissage qui facilite cet objectif. Nous mentionnerons brièvement cinq manières d’y arriver.
1. L’approche progressive (mentorat/modélisation)
Une façon de créer un environnement qui encourage le développement du caractère est ce que l’on pourrait appeler « l’approche progressive (mentorat/ modélisation »). Cette approche implique l’enseignement et la modélisation pour les étudiants des différentes vertus nécessaires pour développer un caractère chrétien pieux et la description des vices correspondants qui doivent être évités. Par exemple, les professeurs peuvent partager l’histoire de leurs propres luttes et de la façon dont, par la grâce de Dieu, ils ont réussi à avoir la victoire. Les professeurs peuvent assigner des livres à lire afin que les élèves lisent sur ces sujets et que cela les encourage à avoir la foi en Dieu – s’ils n’en ont pas encore. S’ils sont déjà croyants, ils peuvent être encouragés quand leur foi se met à faiblir. Les écoles peuvent faire des semaines de prières au cours desquelles les étudiants sont encouragés à accepter le Christ comme leur Sauveur personnel ; elles peuvent partager leur foi avec eux au cours de brefs exposés spirituels au début des cours, et les encadrer spirituellement dans leurs rôles en tant que de conseillers professoraux.
Une autre façon de créer un tel environnement est de réaliser que le développement du caractère ne se produit pas d’un seul coup. Non, c’est plutôt un processus qui exige une série d’étapes de croissance progressive menant vers la maturité. Un modèle utile d’apprentissage et de croissance est « l’échelle des vertus de Pierre » que l’on trouve dans 2 Pierre 1.5-8. (Voir figure 2). Le cadre du développement des vertus que Pierre passe en revue englobe huit étapes ou stades de croissance vers la maturité dans le cheminement chrétien. Ces huit étapes débutent avec la foi, suivie de la force morale (qui correspond à la conversion), puis la connaissance (de façon spécifique, ici il s’agit de la connaissance de la loi de Dieu et d’une compréhension des principes de son Royaume), celle-ci formant la base du développement du caractère, suivie de la maîtrise de soi (la force de la volonté pour faire face aux distractions et gérer les émotions, les passions et les désirs de façon saine), la persévérance (la fermeté dans les situations difficiles), la piété (l’atteinte de la sagesse d’en-haut, l’obéissance à la loi de Dieu, et des pensées et des actions qui découlent de l’amour pour Dieu), l’affection fraternelle (l’utilisation de ses talents pour servir les autres plutôt que soi-même), et la plus grande de toutes, l’amour (l’attachement à Dieu et la compassion pour les autres).
Alors que nous partageons avec nos élèves ces étapes progressives de la croissance du caractère, nous pouvons leur permettre non seulement de mieux comprendre la valeur de ces vertus pour leur propre réussite future et leur bonheur – personnellement et professionnellement – mais nous pouvons aussi les aider à acquérir ces vertus12. Ellen White, faisant référence à l’échelle de Pierre, signale que « Christ… est l’échelle. Dans son humanité, il a fermement planté sa base sur la terre, et dans sa divinité, il étend l’échelon supérieur jusqu’au trône de Dieu. L’humanité de Christ embrasse l’humanité déchue tandis que sa divinité s’empare du trône de Dieu. Nous sommes sauvés en grimpant cette échelle, un échelon après l’autre, en regardant à Jésus, en s’agrippant à Christ… de façon à ce qu’il soit fait pour nous sagesse et justice, sanctification et rédemption13. » Elle explique en outre que ces éléments du caractère grandissent tout au long de la vie, plutôt que dans un ordre hiérarchique. L’échelle représente alors la confiance de l’humanité en Dieu pour la transformation du caractère14.
2. Une approche environnementale (vie saine)
Une deuxième approche qui peut faciliter la croissance du caractère chez nos étudiants nécessite prudence, réflexion, et effort afin de créer des conditions propices à une pensée claire et une vie disciplinée. Un livre inestimable – Le ministère de la guérison d’Ellen White15 – présente les principes de santé qui sont à la base du développement d’un caractère pieux. Une autre ressource précieuse qui aborde des principes de santé similaires est le livre de Neil Nedley – The Lost Art of Thinking : How to Improve Emotional Intelligence and Achieve Peak Mental Performance16. Il présente une mine de recherches prouvant la valeur des huit lois de la santé que le programme NEWSTART, développé par Sang Gy Lee du Weimar College, présente comme étant les conditions les plus favorables à la croissance du caractère.
Une autre innovation du programme d’études, dans ce contexte, est le cadre travail-études dans notre philosophie adventiste, cadre qui a été mis en relief avec succès dans de nombreux établissements universitaires de premier cycle au cours des ans. Cette approche insiste sur l’importance pour les étudiants de pratiquer une forme ou une autre de travail manuel utile en complément de l'apprentissage dans les livres, et cela dans le but de promouvoir le développement du caractère.
Dans le but de maximiser les avantages d’apprentissage de cette approche, les étudiants peuvent être, soit jumelés à des pairs pour effectuer des travaux manuels, soit affectés à des tâches non manuelles pour travailler avec des professeurs dans le cadre d'un stage. Cela boucle la boucle de l'inculcation et de la pratique de la philosophie adventiste de l’éducation qui combine la tête, la main et le cœur dans un développement équilibré global. La tête est engagée en classe, les mains et le cœur le sont dans le mentorat et des occasions de pratique qui favorisent le développement du caractère et de la foi. En fait, certaines théories pédagogiques suggèrent que les étudiants deviennent plus sûrs de leur propre identité de leadership en ayant des expériences de travail qu’ils peuvent citer en référence et à partir desquelles ils peuvent construire un cadre aussi bien que des opportunités d’apprentissage significatives.
3. L’approche expérientielle (apprentissage par le service)
Une troisième façon de promouvoir le développement du caractère des étudiants est de leur offrir des occasions d’apprentissage par le service. Dans Proverbe 22.6, on lit : « Instruis l’enfant selon la voie qu’il doit suivre ; et quand il sera vieux, il ne s’en détournera pas17. » Un dictionnaire définit le verbe « instruire » ainsi : « Développer ou former les habitudes, les pensées ou le comportement (d’un enfant ou d’une autre personne) par la discipline et l’instruction ; rendre compétent par l’instruction et la pratique comme dans un art, une profession ou un métier18. » De la même manière, l’apprentissage par le service est une activité scolaire qui relie l’enseignement reçu en classe à des applications dans la communauté. Un élément vital du programme d’études adventiste est de fournir des occasions d’apprentissage par le service. Ce dernier permet aux élèves d’appliquer des compétences et des théories provenant de sources pluridisciplinaires dans des situations du monde réel. Cela leur permet essentiellement de pratiquer ce que leurs enseignants prêchent. Si les enseignants adventistes ne fournissent pas ces expériences d’apprentissage par le service, il y a danger pour les élèves de ne pas acquérir ou développer ces compétences, ou même échec d’inculquer ces compétences et cet apprentissage.
Les activités de service communautaire – participer à un voyage missionnaire à l’étranger afin de construire des églises ou des écoles ou de tenir des réunions d’évangélisation, aider à organiser une expo santé, visiter des sans-abris ou des personnes isolées, ou participer à des journées de nettoyage dans la communauté locale – sont souvent sans lien avec l’apprentissage en classe. Pourtant, grâce à une réflexion approfondie, les éducateurs peuvent intégrer de tels projets en tant que composantes appliquées de cours réels. Ainsi, alors que les élèves apprennent les mathématiques, les sciences, une langue ou la littérature, de tels projets d’apprentissage par le service appliqué et pratique peuvent les aider à commencer à penser aux autres plutôt qu’à eux, développer l’altruisme et expérimenter les récompenses du service constructif.
Il faudrait aussi cultiver une solide culture du service volontaire. Cela permet aux étudiants de développer la prise en charge des communautés dans lesquelles ils vivent et un engagement à vie envers les autres. Pour que cela se produise, les élèves doivent être formés et préparés à servir, et il faut mettre en place des opportunités de rétroaction et de réflexion.
4. L’approche des humanités (pensée critique)
Une quatrième approche est d’encourager les étudiants à lire et à évaluer de façon critique des documents qui touchent à l’expérience humaine. Par exemple, quelles sont les suppositions dans la littérature, les médias sociaux, les films en cours sur ce qui rend les gens heureux, sur leur définition du succès, sur la raison d’être des humains, sur les relations humaines, et sur le pouvoir ? Comment ces suppositions se comparent-elles à ce que Dieu nous a révélé sur ces choses ? (Voir l’encadré 1)
Pour répondre à ces questions, traditionnellement, les éducateurs adventistes se sont servis particulièrement de la Bible ainsi que d’écrits d’écrivains religieux inspirés afin d’élargir les horizons moraux de leurs élèves. Ils ont considérés les cours sur ces sujets en tant qu'élément essentiel du programme d'enseignement général requis pour toutes les filières d'études. Cependant, d'autres fondements littéraires en sciences humaines peuvent aussi servir à remettre en question la pensée des élèves, ainsi que le cinéma et le théâtre ; à exposer des hypothèses cachées et non examinées de la société moderne ; et à explorer ce qui a vraiment de la valeur dans la vie.
5. L’approche prophétique (justice sociale)
Et finalement, les universités peuvent également promouvoir le développement du caractère des étudiants par le biais de ce que l’on peut nommer l’approche prophétique (justice sociale). Dans cette approche, il s’agit d’aider nos étudiants à comprendre plus en profondeur le plan prophétique divin pour le soulagement complet de la souffrance humaine, de l’oppression, de l’injustice sur cette planète, et le rôle que Dieu nous a appelés à remplir dans la confrontation et l’opposition des systèmes corrompus.
Une telle approche implique d’aider nos étudiants à réfléchir de manière critique sur les normes et idéaux culturels, à la façon dont ils favorisent souvent l’injustice, l’intolérance, l’oppression, la haine, la cupidité et, à l’inverse de tout cela, à considérer la voie alternative divine vers la liberté humaine, la santé, le bonheur, y compris ses efforts d’ancrer la liberté à l’intérieur des contraintes rationnelles du respect de la loi divine, sans quoi il n’y a pas de véritable liberté. Grâce à une analyse soigneuse de cause à effet dans les systèmes sociaux, les étudiants arrivent à comprendre que, sans une loi morale qui gouverne l’univers, il n’existe pas de réel potentiel pour la création d’un tissu social dans lequel la liberté de conscience, la responsabilité, la diversité et la paix peuvent s’épanouir et la souffrance humaine, la douleur et les pertes, être évitées ou soulagées.
Par contre, cette dernière approche donne une suite significative à un dernier sujet de préoccupation pour garantir que les établissements éducatifs tertiaires adventistes atteignent leur objectif suprême de préparer leurs élèves à être des leaders efficaces. Cette préoccupation pourrait peut-être appelée « l’énigme caractère-culture ».
L’énigme caractère-culture
L’énigme caractère-culture implique la reconnaissance d’un fait que l’on exprime rarement de façon explicite, à savoir que malgré les efforts herculéens des universités de développer chez leurs étudiants la sagesse et le caractère nécessaires pour les préparer à servir en tant que leaders efficaces, il n’existe aucune garantie que ceux qui ont le plus grand potentiel auront jamais l’occasion d’occuper des postes de pouvoir et d’influence dans la société19. (Voir figure2) La raison de cet état de fait est enracinée dans un problème permanent qui affecte toutes les cultures ainsi que les institutions politiques et religieuses à des degrés divers : à savoir que, plus souvent que pas, à cause de l’égoïsme de la nature humaine et des élites puissantes et privilégiées, les normes culturelles et/ou des gouvernements oppressifs empêchent ceux qui ont un caractère exceptionnel, de la sagesse et la compétence d’atteindre le sommet de la hiérarchie, et ce, malgré le fait que si on leur permettait d’y arriver, leurs sociétés en retireraient d’immenses bénéfices.
Un exemple de cette énigme qui se joue dans toute sa puissance corrosive et destructrice, c'est la vie de Yi Sun-shin qui aurait probablement fait un leader politique efficace de la Corée du Sud20 mais qui n’a jamais eu l’occasion de le faire. On peut citer de nombreux exemples, du règne de terreur de Staline au totalitarisme religieux pendant le Moyen Âge en Europe, de l’emprise mortelle de la famille Kim au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle en Corée du Nord à l’influence souvent corrosive que l’argent et des intérêts particuliers jouent dans le contrôle des processus politiques dans de nombreuses parties du monde aujourd’hui.
Bref, à cause de l’établissement de dynasties héréditaires, du droit divin des rois, de systèmes de classes rigides (comme on en trouve en Inde, en Chine et en Corée depuis des siècles), et de régimes totalitaires oppressifs, le caractère, le talent et la compétence – malheureusement plus souvent que pas – n’arrivent pas à se hisser au sommet de la hiérarchie. Cela est également vrai quand une stricte adhésion à des normes hiérarchiques empêchent les femmes, les jeunes, les minorités de remplir des positions de leadership dans la sphère publique, sans parler de l’oppression des pauvres par les riches tout au long de l’histoire. (Voir figure 2) L’avantage des gouvernements démocratiques, aussi imparfaits que plusieurs d’entre eux puissent être, est qu’ils permettent plus fréquemment l'apparition de fissures dans la façade apparemment impénétrable qui a traditionnellement empêché le caractère exceptionnel d'un grand nombre de gens des classes populaires et des minorités, de jeunes et de femmes, de s’élever jusqu’à des postes de pouvoir et d’influence dans la société.
Et voilà la raison pour laquelle – si pour aucune autre raison – chaque université doit prendre au sérieux son rôle de préparer et d’encourager les étudiants à être des leaders serviteurs. Les établissements d’enseignement supérieur jouent un rôle crucial pour aider les étudiants à devenir des leaders efficaces dans la société, et ils devraient ressentir un intérêt direct non seulement à jumeler des étudiants à des pairs ou à les faire travailler avec des professeurs dans le cadre d’un stage, mais aussi à leur procurer des occasions d’apprentissage par le service et à mettre les élèves au défi de penser de manière critique, comme mentionné plus haut. Faire la promotion de structures et d’établissements démocratiques véritablement justes et sans préjugés permet aux citoyens de choisir librement leurs futurs leaders.
Plus encore, les établissements d’enseignement supérieur devraient faire tout leur possible pour opposer et contrecarrer les forces oppressives qui cherchent à étouffer le pouvoir d'attraction du caractère en tant que force directrice dans la société. Dans un effort concerté, les instances administratrices et gouvernantes doivent s’efforcer de remplacer les conventions sociales dysfonctionnelles, et finalement paralysantes, là où elles existent, avec des systèmes de gouvernance et d’administration améliorés. De tels systèmes bien structurés permettront la libre circulation de l’information et le choix de nouveaux leaders, choix qui ne sera pas basé sur la couleur de leur peau, la ville où ils sont nés, les écoles qu’ils ont fréquentées, leurs amis qui ont de l’influence, ou autres facteurs superficiels et finalement fallacieux, mais sur leurs talents, leur sagesse, et leurs accomplissements professionnels, et par-dessus tout, leur caractère. Comme l’a dit un jour le président Theodore Roosevelt : « Le caractère, en bout de ligne, est le facteur décisif dans la vie d’un individu et des nations21. » Et comme le fameux orateur romain Marcus Tullius Cicéron l’a si bien énoncé : « Ce ne sont pas par les muscles, la vitesse, ou la dextérité physique que l’on réalise de grandes choses, mais par la réflexion, la force de caractère et le jugement22. »
Cet article a été revu par des pairs.
Référence recommandée :
Timothy James Ellis et Megan M. Elmendorf, Stades de développement dans la préparation éducative de leaders efficaces, Revue d’éducation adventiste. Disponible à https://www.journalofadventisteducation.org/fr/48.2018.7.
NOTES ET RÉFÉRENCES
- Bien que certains exemples précis contenus dans l'article proviennent d'un contexte culturel particulier, nous croyons que les principes partagés peuvent être appliqués efficacement peu importe où l'on se trouve.
- Proverbe 4.5-9, La Nouvelle Bible Segond, NBS.
- Brainy Quotes (2017), Billy Graham: https://www.brainyquote.com/quotes/keywords/character.html.
- Ibid., Martin Luther King, Jr.
- Aristotle, Nichomachean Ethics (London: Penguin Books, 2004); Nichomachean Ethics, 1144b30-32. Cited in Kevin Timpe, Moral Character (2017): http://www.iep.utm.edu/, para. 30.
- Proverbe 9.10, NBS.
- Proverbe 3:5, 6, NBS.
- 1 Corinthi3ns 2.14, NBS.
- Jacques 3.17, NBS.
- Cela ne doit pas être fait de manière artificielle ou synthétique, mais plutôt, lorsque l'enseignant discute d'événements ou de théories, il doit faire un effort proactif pour aborder les hypothèses sur lesquelles ces événements ou théories sont construits, et les comparer à ce que Dieu nous a révélé. Les principes éternels de Dieu, en conséquence, peuvent être éparpillés tout au long des cours et des discussions, parfois comme une confirmation des affirmations de la littérature, de l'histoire, ou de diverses théories, d'autres fois comme une opposition à ces affirmations, cela nécessitant alors une correction.
- Certains de nos établissements d'enseignement supérieur adventistes accueillent un nombre important de chrétiens engagés ainsi que des étudiants d'autres traditions religieuses qui désirent une éducation basée sur les principes chrétiens. Ce que nous voulons dire ici, c'est que notre but premier en tant qu'éducateurs est d'abord et avant tout d'aider nos étudiants à devenir de plus en plus ouverts à la direction de Dieu dans leur vie. Nous pouvons le faire en créant un environnement qui nourrit leur cheminement dans la foi.
- Voici deux autres concepts théoriques que les éducateurs peuvent trouver utiles pour mieux comprendre les besoins de développement de leurs élèves : la théorie des stades de la foi de James Fowler (voir James W. Fowler, Stages of Faith: The Psychology of Human Development and the Quest for Meaning [New York: Harper & Row, 1981]), et les travaux de L. S. Vygotsky sur la zone de développement proximal (ZPD), la participation guidée et la notion d'échafaudage. Selon Vygotsky, si l'on ne prête pas attention aux composantes affectives, relationnelles et volitives du processus d'apprentissage, les élèves auront beaucoup plus de difficulté à apprendre. Le travail de Vygotsky, en particulier, souligne la nécessité pour nous d'utiliser une approche de mentorat axée sur la pratique dans nos écoles afin que les élèves puissent progresser dans la vie chrétienne. Il s'agit de s'approcher des élèves, de les écouter, de chercher à les comprendre, de sympathiser sincèrement avec eux afin de gagner leur confiance, puis de les aider à progresser vers la maturité spirituelle. Voir, par exemple, Lisa S. Goldstein, “The Relational Zone: The Role of Caring Relationships in the Co-Construction of Mind,” American Educational Research Journal 36:3 (automne 1999): 647-673; et Vasily V. Davydov et Stephen T. Kerr, “The Influence of L. S. Vygotsky on Education Theory, Research, and Practice,” Educational Researcher 24:3 (avril 1995): 12-21.
- Ellen G. White, Testimonies for the Church (Mountain View, Calif.: Pacific Press, 1901), 6:147.
- Ibid.
- Ellen G. White, The Ministry of Healing (Mountain View, Calif.: Pacific Press, 1905).
- Neil Nedley, The Lost Art of Thinking: How to Improve Emotional Intelligence and Achieve Peak Mental Performance (Ardmore, Okla.: Nedley Publishing, 2011).
- Les principes bibliques de l'apprentissage et du développement étaient orientés vers l'action (apprendre, puis faire), et on conseillait aux parents d’instruire leurs enfants dans les voies qu'ils devaient suivre, ce qui impliquait le développement du caractère ainsi que le développement des compétences.
- Définition d’instruire tirée du dictionnaire « Le petit Robert ».
- Il est vrai que tous les dirigeants n'exercent pas leur leadership par les voies officielles, l'emploi ou l'élection. En fait, il existe de nombreuses façons par lesquelles des leaders informels efficaces peuvent améliorer les résultats organisationnels et sociétaux. Après tout, Jésus lui-même n'a jamais eu de titre officiel ou de poste électif. Cependant, il est également vrai que le fait d'être nommé à un rôle de leadership désigné peut accroître l'influence d'une personne, en lui donnant un sentiment de légitimité et en lui donnant la possibilité de se faire entendre d'une manière qui ne serait pas possible autrement.
- Yi Sun-shin est devenu un grand amiral, mais ses prouesses militaires n'ont pas été reconnues de son vivant parce qu'il était né dans une famille pauvre de classe dirigeante. Voir https://openendedsocialstudies.org/2016/06/25/admiral-yi-sun-sin/.
- Brainy Quotes (2017), Theodore Roosevelt: https:// www.brainyquote.com/quotes/theocore_roosevelt_163799.
- Ibid., Marcus Tullius Cicero: https://www.brainyquote.com/quotes/marcus_tulius_cicero_393419.